Il y a des phrases qu’on oublie aussitôt qu’on les prononce, mais qui restent longtemps dans la tête de ceux qui les reçoivent. Des gestes minuscules, des remarques “pour rigoler”, des compliments “mal formulés”, qui paraissent anodins mais qui, répétés jour après jour, finissent par peser lourd. C’est exactement ce que sont les microagressions, ces violences invisibles qui ne laissent pas de traces physiques, mais qui entament la confiance, l’énergie et le sentiment de légitimité. Elles ne crient pas, elles ne frappent pas : elles s’accumulent. Et à force, elles épuisent.
Comprendre ces mécanismes est essentiel si l’on veut construire des environnements de travail plus sains, plus sûrs et véritablement engagés dans l’inclusion. Pourtant, le sujet reste tabou, mal compris ou minimisé. On parle d’“exagération”, de “susceptibilité”, comme si ce qui blesse ne pouvait être réel qu’à condition d’être violent. Mais les discriminations ne prennent pas toujours la forme que l’on imagine : elles se glissent dans les détails.
1. Les microagressions : petites phrases, grands effets
Les microagressions sont des propos ou comportements, souvent involontaires, qui transmettent un message discriminant ou dévalorisant. Elles peuvent prendre la forme d’une blague sur un accent, d’une remarque sur l’âge d’un collègue, d’un compliment qui sexualise, ou d’une question intrusive sur les “vraies origines” de quelqu’un. Individuellement, elles semblent peu graves. Mais leur force ne réside pas dans l’instant : elle réside dans la répétition.
Chaque microagression vient rappeler à la personne une inégalité qu’elle vit déjà : liée au genre, à l’origine, à l’orientation sexuelle, au handicap, à l’âge ou à la classe sociale. C’est pour cela qu’une phrase “banale” n’a pas du tout le même impact selon qui la reçoit. Ce qui semble anodin pour l’un peut être, pour l’autre, un rappel quotidien de sa différence imposée.
Les violences invisibles fonctionnent comme une goutte d’eau qui tombe sans cesse au même endroit : au début, on l’ignore, puis on s’en agace, et un jour, on se rend compte qu’elle a creusé la pierre. C’est cette érosion silencieuse qui rend les microagressions si épuisantes.
2. Intentions et impact : pourquoi “je voulais pas mal faire” ne suffit pas
Beaucoup de personnes réagissent aux microagressions par :
“Mais je n’avais pas l’intention de blesser.”
Et c’est vrai. La majeure partie des microagressions est non intentionnelle. Elles trahissent des biais ancrés, des habitudes culturelles, des phrases répétées sans être questionnées. Mais dans le domaine des discriminations, ce n’est pas l’intention qui compte : c’est l’impact.
Si quelqu’un marche sur ton pied sans faire exprès, tu as mal quand même. En entreprise, c’est pareil. Le fait de préciser qu’on “ne voulait pas” ne répare rien. Reconnaître l’impact permet d’ouvrir une discussion, de comprendre et d’ajuster son comportement. Reconnaître uniquement l’intention permet… de ne rien changer du tout.
C’est là que réside l’enjeu : passer d’une logique défensive (“je ne suis pas une mauvaise personne”) à une logique de responsabilité (“je peux faire mieux”).
3. Pourquoi les microagressions sont épuisantes : le poids de l’invisible
Les personnes qui subissent régulièrement des microagressions décrivent souvent un état d’hypervigilance permanent. Cette vigilance prend plusieurs formes :
anticiper ce qu’on va encore leur dire aujourd’hui ;
corriger leur façon de parler, de s’habiller, de se présenter ;
choisir entre répondre ou laisser passer ;
gérer les conséquences émotionnelles en silence.
Cette fatigue est rarement visible pour l’entourage. Pourtant, elle a des conséquences directes sur le bien-être, la motivation, la confiance en soi et l’engagement. Une personne qui doit constamment se justifier ou se protéger ne peut pas se concentrer pleinement sur son travail. C’est un coût humain, mais aussi organisationnel.
Les violences invisibles créent également un climat où le doute s’installe :
“Est-ce que j’ai le droit de me plaindre ?”
“Est-ce que c’est moi qui interprète ?”
“Est-ce que je vais encore passer pour celle qui exagère ?”
Ce silence forcé aggrave encore la situation. Il isole, il normalise, il enferme.
4. Reconnaître les microagressions : un premier pas essentiel
Pour lutter contre les microagressions, la première étape consiste à les reconnaître. Ce n’est pas toujours simple, car elles se présentent sous une forme familière, presque banale. Voici trois questions utiles pour prendre du recul :
Est-ce que ma remarque ramène la personne à un groupe plutôt qu’à son individualité ?
Est-ce que j’aurais dit la même chose à quelqu’un d’un autre groupe ?
Est-ce que cette remarque a déjà été identifiée comme blessante par d’autres ?
L’objectif n’est pas de culpabiliser, mais de comprendre. Les biais ne sont pas des fautes morales : ce sont des raccourcis cognitifs. Les identifier est une preuve de maturité, pas de faiblesse.
5. Comment faire autrement : pistes concrètes
La bonne nouvelle, c’est qu’il existe des solutions simples pour limiter les microagressions et créer un environnement plus inclusif.
1. Accueillir ce que l’autre ressent
Quand quelqu’un nous dit qu’une phrase est blessante, la seule réponse utile est :
“Merci de me le dire. Je ne m’en rendais pas compte.”
Ni justification.
Ni minimisation.
Ni inversion de la charge (“tu es trop sensible”).
Juste de l’écoute.
2. Observer ses réflexes
Nos biais influencent nos comportements. Les repérer demande un peu de recul, mais c’est un travail qui porte ses fruits. Il peut s’agir d’automatisme dans le langage, de maladresses culturelles, ou de remarques que l’on répète depuis toujours sans y penser.
3. Se former, pratiquer, échanger
L’inclusion n’est pas un concept abstrait : c’est une pratique collective. Elle demande du temps, un cadre et des outils. Elle demande surtout un environnement où chacun peut apprendre sans être jugé.
C’est exactement pour cela que nous avons créé RecovR.
6. RecovR : mettre des mots sur l’invisible pour changer les pratiques
RecovR est né d’un constat simple : on ne peut pas agir sur ce qu’on ne voit pas. Or la majorité des discriminations en entreprise se logent dans des détails, des phrases, des gestes minuscules. Des situations que l’on ne sait pas toujours identifier, et qu’on ne sait presque jamais nommer.
Nous avons conçu RecovR comme un outil de sensibilisation immersif, basé sur des situations réelles, pour permettre aux équipes de reconnaître ces microagressions, de comprendre leur impact, et d’apprendre à réagir de manière plus inclusive. Pas pour culpabiliser, mais pour donner des clés. Pas pour juger, mais pour comprendre. Pas pour accuser, mais pour transformer ensemble.
Parce que la sensibilisation n’est pas une formation descendante.
C’est une prise de conscience collective.
Et elle commence précisément là : dans ces détails qu’on croyait sans importance.